Conte de Noël 2016 n°7: « La crèche vivante » par Armande
Dans la nuit, les cloches sonnaient à toute volée, appelant les fidèles pour la
Messe de Noël. Quelques flocons de neige virevoltaient. Les groupes emmitouflés
se pressaient vers les vitraux illuminés de l’église, havre rassurant dans le froid et les
ténèbres.
Monsieur le Curé avait eu l’idée cette année de faire une crèche vivante.
Dans un coin de la chapelle de la Vierge, avec l’aide du sacristain et des enfants de
chœur, il avait échafaudé un petit hangar
recouvert de tôles moussues, dans lequel
Fernand, le plus proche fermier, était
venu déposer quelques bottes de paille et
un bœuf, qui pour l’heure ruminait,
béatement couché sur le chaume. L’âne
avait été prêté par la Claudine. Il
regardait de son œil doux les gens
s’installer. Les enfants, excités et curieux,
s’avançaient et lui lançaient quelques
brindilles, aussitôt rabroués par leurs
parents. L’orgue soudain entonna les
premières notes du chant d’accueil.
Cadichon, affolé, se cabra et se mit à
braire avec ardeur. Hi Han ! Hi Han ! Hi
à calmer la bête terrifiée. L’organiste, rouspétant contre les initiatives du curé, se
Han ! Quel chahut dans l’église ! Le
sacristain se précipita et eut bien du mal
remit à jouer mezza voce, redoutant un nouvel esclandre. Enfin Monsieur le Curé put
commencer la lecture de l’Evangile.
« En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre. Ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. Et chacun allait se faire inscrire dans sa ville d’origine. Joseph, lui aussi, quitta la ville de Nazareth en Galilée, pour monter en Judée, à la ville de David appelée Bethléem, car il était de la maison et de la descendance de David. Il venait se faire inscrire avec Marie, son épouse, qui était enceinte. Or, pendant qu’ils étaient là, arrivèrent les jours où elle devait enfanter. Et elle mit au monde son fils premier né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. »
C’est à ce moment-là que Saint Joseph et la Vierge Marie tenant l’Enfant
Jésus devaient se présenter. Lorsqu’ils firent irruption et s’installèrent entre le bœuf
et l’âne gris, les fidèles des rangs les plus proches se mirent à murmurer, à
s’interpeler, se pousser du coude, à s’apostropher et chacun dans les bancs,
derrière, se tordait le cou pour voir et essayer de comprendre le motif de cette
effervescence.
– Mais c’est la Josette qu’ils ont pris pour faire la Vierge! Cette
dévergondée !
Léonard !
– Elle ne sait même pas qui est le père de son enfant !
– C’est peut-être le Saint-Esprit ?
– Quel scandale !
– Et St Joseph ! Vous avez vu qui ils ont mis en St Joseph ? Le vieux
– Un vieux vicieux et une dépravée ! C’est honteux !
– Il fallait quelqu’un avec une barbe…
– Mais n’importe qui de propre et honnête peut se laisser pousser la barbe !
– Et venir mettre un vrai nouveau-né à côté d’un bœuf et d’un âne ! Dans la
paille ! C’est scandaleux, répugnant, infâme !
– Dans la chapelle de la Vierge, en plus !
Bref, le chahut enflait, la réprobation s’exaspérait. On montrait du doigt, on
invectivait, et même des injures fusèrent dans l’enceinte de la maison de Dieu.
Monsieur le Curé avait bien du mal à se faire entendre. Il saisit la sonnette
de la consécration et se mit à l’agiter furieusement, ce qui ramena quelque calme
dans l’assemblée. Mais on entendait encore de ci de là quelques invectives et
propos insultants.
Le prêtre put enfin ouvrir la bouche. Il morigéna sévèrement son auditoire,
traitant de mécréants et d’égoïstes ceux qui ne prenaient pas en pitié les plus
pauvres et les moins bien lotis qu’eux. Il fulmina un moment, puis s’arrêta lorsqu’il
s’aperçut que les fidèles, l’un après l’autre, puis par familles entières, quittaient le
lieu saint.
– Mais attendez, pourquoi partez-vous ? Ce soir c’est la nuit de Noël où
chacun ouvre son cœur et sa porte pour accueillir l’enfant Jésus, l’enfant pauvre, les
déshérités et les malheureux, et vous, vous partez, vous refusez l’amour qui vous
est donné, et vous refusez de donner à votre tour ?
Il restait là, le pauvre curé, les bras ballants, défait et désespéré. La jeune
maman s’était recroquevillée sur son bébé pour le protéger de toute cette haine
qu’on déversait sur eux. Saint Joseph avait posé sur son épaule une main
protectrice qui se serait voulue rassurante, mais qui tremblait. Tout à coup le bébé
se mit à hoqueter, puis ses cris fusèrent et furent répercutés longuement sous les
voûtes ancestrales de la petite église.
Alors ceux qui sortaient hésitèrent. Oui, il y avait là un nouveau-né, un bébé
pur et sans faute, un bébé innocent. Sa mère n’était pas vierge certes, tout le monde
le savait, mais c’était une pauvre fille, qui avait été violée et violentée, et de ce fait
rejetée de tous. Mais était-ce de sa faute ? Quant au St Joseph, certes il n’était pas
bien propre, pas bien futé, mais pas mauvais bougre au fond, il rendait service aux
uns et aux autres moyennant une soupe ou un morceau de lard. Bien sûr, on aurait
préféré que ce soit le fils du charcutier ou la fille du boulanger, gens respectables
sinon honnêtes, qui soient choisis, mais le curé avait raison quelque part, à Noël il
faut ouvrir son cœur…
Petit à petit, les gens reprirent en silence leur place dans les bancs. Le bébé
maintenant tétait goulument le sein de sa mère et les femmes leur jetaient des
coups d’œil envieux. Saint-Joseph, gêné, tournait ostensiblement le dos, et caressait
les oreilles du bœuf pour ne pas montrer son trouble.
Monsieur le Curé reprit la lecture de l’Évangile.
« Dans les environs se trouvaient des bergers qui passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. L’ange du Seigneur s’approcha, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte, mais l’ange leur dit :
« Ne craignez pas, car voici que je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : aujourd’hui vous est né un Sauveur dans la ville de David. Il est le Messie, le Seigneur. Et voilà le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire.
»
Il était prévu que les bergers et leurs moutons rejoignent la crèche. Ils
arrivèrent du fond de l’église en troupeau serré, avec le chien en serre-file. Certains
pensaient que tout ça n’avait pas grand-chose à voir avec une messe de minuit, et
leur certitude fut confirmée que ce furent les rois mages qui défilèrent. Comme les
chameaux sont rares dans nos campagnes, c’étaient deux gus sous une pelisse qui
figuraient la bête exotique, ce qui provoqua des éclats de rire parmi les enfants et
des protestations chez les paroissiens scandalisés. Quelqu’un cria :
– On se croirait au cirque !
Lorsque tout ce monde fut regroupé autour de la crèche, les moutons un
peu perdus allant et venant dans les allées, bêlant et broutant le bas des manteaux,
le prêtre reprit :
« Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ! »
L’orgue entonna un Alleluia joyeux que l’assemblée reprit, d’abord avec réticence, puis avec de plus en plus d’ardeur, tant il est vrai que les pleurs d’un petit enfant peuvent changer les cœurs les plus endurcis.

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