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Conte de Noël 2016 n°5 : « La véritable histoire du Père Noël » de Martine Dardenne (blog Planète Opalie)

la véritable histoire du père Noël

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A ne pas raconter aux enfants….

Après sa journée de labeur, chaque soir du mois de Décembre, le vieux monsieur de Laponie se tord de rire devant sa télévision. Pour rien au monde il ne manquerait toutes ces publicités qui montrent ses sosies dans chaque pays. Des maigres, des gros, des jeunes, des vieux, des pères Noël en moto, en hélicoptère, déguisés en vert, en jaune, en bleu….Et même certains affublés d’une « mère Noël » ! Comme si sa femme accepterait de le suivre, elle qui est si casanière ! …

Non, il n’en est rien de tout cela. Voici comment l’histoire a commencé.

Il y a bien longtemps, l’arrière arrière arrière grand-père du vieux monsieur de Laponie, trouvait la nuit polaire bien longue et s’ennuyait. Il s’était alors mis en tête de fabriquer des jouets puis de les distribuer à tous les enfants de son petit village finlandais. En échange, les parents lui offriraient sans doute des victuailles, pour lui et son troupeau de rennes. Ils lui couperaient son bois, car lui se sentait fatigué pour une telle besogne.

Et c’est exactement ce qui arriva. ….Cette heureuse initiative avait un si grand succès que les années suivantes, ce brave homme dut appeler les jeunes du village pour lui donner un coup de main.

Cette fabrique artisanale avait pris une grande ampleur car elle avait fait écho dans les villages voisins et tous les enfants réclamaient leur jouet à l’approche de Noël. Bientôt, l’ancêtre dut organiser des livraisons. Alors il mit six de ses rennes à contribution et remplit son traineau avec les paquets cadeaux contenant les précieux trésors. Puis il partait la nuit du 24 Décembre, emmitouflé dans son manteau de laine rouge, sa fourrure d’ours sur les genoux.

« Ho ho ho », criait-il à l’entrée de chaque village, afin de freiner son attelage. Les enfants l’entendaient et les petits coeurs battaient d’émotion, se demandant quelle serait leur surprise. Les parents préparaient parfois du vin chaud pour le vieillard ; ils le trouvaient bien courageux de se promener la nuit par moins 30 degrés, rien que pour le plaisir des enfants…
C’est ainsi que naquit la tradition.

Vers les années cinquante, des touristes américains eurent l’idée saugrenue de partir en vacances en Laponie. Après avoir éprouvé les sensations du traineau sur les immensités neigeuses, après avoir admiré les élevages de rennes, après avoir frissonné au chant des loups, ils visitèrent l’atelier des jouets et furent émerveillés. Le guide de l’agence touristique leur expliqua l’historique. Et naturellement, dès leur retour en Amérique, l’idée d’en faire un business se répandit très vite.

Le vieux monsieur de Laponie fut très étonné de son succès grandissant. Bientôt il commença à recevoir des tonnes de courrier en provenance de la planète entière. Ne parlant que le Finnois, il ne comprenait rien à toutes ces langues étrangères et dut embaucher un traducteur. Sur chaque enveloppe était écrit « père Noël » ou bien « Christmas father » ou encore « joulupukki » et ces appellations le faisaient bien rire.

Des enfants de tous pays lui écrivaient des lettres pleines de gentillesse, qui s’avéraient être de véritables bons de commandes pour des jouets. Le vieil éleveur de rennes ne se sentait pas le cœur de les décevoir et créa une véritable usine de fabrication, au milieu des sapins. Il embaucha comme ouvriers, tous les lutins de la forêt. Et comme il se faisait très vieux et fatigué, il eut la sagesse d’enseigner le métier à son fils, qui lui-même apprit le métier à son propre fils.

Les années, les décennies passèrent… Le petit village finlandais prospérait car chacun tenait un rôle important dans la fabrique de jouets : bûcherons, ébénistes, sculpteurs, peintres, magasiniers, tous travaillaient pour la même cause. Bientôt, l’usine tourna toute l’année, faisant vivre la population à un rythme effréné.

Aujourd’hui, le vieux monsieur de Laponie est le septième de sa génération. Chaque année au mois de Décembre, les lettres lui parviennent et le traducteur lui explique les commandes. Cependant, il lui est très difficile de satisfaire les enfants de notre époque ; ceux-ci lui demandant des choses impossibles, des jouets qu’on ne peut fabriquer avec du bois !

Il est loin le temps où son ancêtre sculptait minutieusement ses pantins et ses tambours pour les enfants du village…Désormais il est contraint de passer commandes à des prestataires japonais ou chinois, afin de fabriquer les jeux sophistiqués qu’il ne connait pas, sauf en publicité à la télévision.

Lorsqu’ il regarde les émissions célébrant sa notoriété, il est un peu triste de voir toutes ces mascarades, ces montagnes de jouets qui finiront dans les poubelles. Le vieux monsieur de Laponie est dépassé par les évènements. Le progrès va trop vite pour lui ; les enfants grandissent trop vite. D’ailleurs, les enfants existent-ils encore ? Il se le demande parfois…

Un jour de grand blues, il songea à se reconvertir et à fermer l’usine de jouets ; mais les lutins se révoltèrent et menacèrent de se syndiquer. Les habitants du village manifestèrent leur désaccord en encerclant l’usine.

Même les rennes tapèrent violemment du sabot. Car il faut les voir, comme ils piaffent d’impatience tous les 24 Décembre avant de s’envoler dans la nuit étoilée, au-dessus des villes et des villages de la terre entière…

Face à une telle pression, un tel désarroi, un si beau témoignage d’amour, le père Noël se dit : « Je ne peux détruire une si belle légende »…

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Conte de Noël 2016 n°4: L’épouvantail co-écrit avec mon ami Collioure

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L’Epouvantail

A Gabriel

En allant comme chaque jour à la boulangerie du village, un petit garçon aperçut qu’un épouvantail avait été installé au milieu d’un champ de blé. L’enfant éprouva une petite émotion qu’il n’arrivait pas lui-même à qualifier dès qu’il l’aperçut.

Le lendemain, alors qu’il revenait chez lui, une miche de pain sous le bras, il eut l’impression languissante que cette fois l’épouvantail voulait lui parler. Il s’arrêta et s’approcha du bonhomme. Il osa même avancer son bras et le poser sur l’épaule de l’épouvantail. Il posa aussi son regard sur le visage du bonhomme et, brusquement, un frisson lui parcourut l’échine: il crut que le bonhomme lui souriait…

Au même instant, il entendit comme un bourdonnement. Un peu effrayé, il recula. 

Il se frotta les yeux: rêvait-il? 

Il regarda avec le maximum de son attention : oui, le bonhomme lui souriait, d’un doux sourire d’enfant malade. Et même, il bougeait son drôle de bras. Il arrondissait son bras, comme pour l’enlacer. Le petit garçon était très impressionné mais une telle douceur émanait du bonhomme que son angoisse s’effaçait. bientôt l’angoisse céda la place à une douce joie infinie. Il rompit la miche et en offrit un morceau au bonhomme qui hocha la tête en guise de remerciement. 

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A cet instant, une voiture s’arrêta. Un monsieur et une dame en descendirent et s’approchèrent du  petit garçon pour essayer de comprendre ce qu’il faisait là, en extase, comme un ravi de la crèche. Il ne les vit ni les entendit venir. Et quand ils furent tout près de lui, à le toucher, il ne leur prêta aucune attention. Son attention était totalement dirigée vers l’épouvantail, comme aimantée, absorbée par lui. Ils essayèrent de lui parler, de l’interroger mais il ne leur répondit pas. Ils portèrent leurs regards vers l’épouvantail mais ils ne décelèrent rien de particulier. 

A ce moment, ils s’aperçurent que le petit garçon fléchissait sur ses jambes. Il fléchissait encore et encore. Il allait s’effondrer sur lui-même.  Alors le monsieur le prit dans ses bras et la dame prit la miche. Le petit garçon semblait endormi. Son visage exprimait une ineffable douceur une paix profonde. Le monsieur le transporta jusqu’à la voiture, l’installa très délicatement à l’arrière. En se penchant sur lui, il s’aperçut qu’il ne respirait plus, qu’il avait peut-être rejoint le paradis des épouvantails. 

Avant de remettre le contact, ils tournèrent la tête machinalement : l’épouvantail avait disparu.

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Contes et nouvelles de Noël 2016: Jérome et le calendrier de l’Avent

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Qui est capable de ne pas succomber à la tentation? Quel enfant de 9 ans saurait patienter 24 jours devant son calendrier de l’Avent? Est-il humain de soumettre un enfant gourmand au plaisir sadique de ne lui permettre d’ouvrir une seule fenêtre par jour pour retirer un pauvre chocolat? Faut-il être de la race en voie de disparition des Enfants sages, des robots ou des diabétiques ayant perdu le sens du goût pour combattre l’appétence naturelle pour le chocolat et les sucreries ?

Cet être-là, cela n’était assurément pas le cas du sieur Jérôme qui compensait déjà une légère tendance à l’embonpoint en s’empiffrant de gâteaux et de chocolats. Alors, quand il reçut solennellement, avec toutes les recommandations d’usage invitant à la modération stomacale, vous pensez bien que ce jeune homme en fit fi allègrement. En moins d’une demi-heure, ce Gargantua en herbe avait fracturé les 24 fenêtres du calendrier et englouti leur contenu. Sans le moindre regret ou remords. Parce qu’il était naturel d’obéir à son instinct sucré. Et toc!

Son rêve? Tenir le rôle de Charlie dans Charlie et la chocolaterie de ce bon vieux Roal Dahl…. Et de kidnapper, pour l enfermer dans sa chambre, Willy Wonka, le plus important, le plus créatif et le plus inventif raffineur de chocolat au monde… En attendant, le dénommé Jérôme était barbouillé de chocolat comme jamais et les doigts pris dans le pot de Nutella. Afin de masquer son forfait, il passa par la case salle de bains. Il laissa ses empreintes un peu partout à l’insu de son plein gré. Pas toujours simple d’être goinfre…


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Ne s’improvise pas non plus chapardeur qui veut…. Une fois débarbouillé tant bien que mal, il s’agissait pour Jérôme de dissimuler son forfait  sur le calendrier de l’Avent. Pas question que ses parents découvrent la supercherie et ne le prive de la venue du Père Noël, de ses rennes et de ses lutins ainsi que de la kyrielle de cadeaux qui allaient avec. Il avait pondu une liste conséquente de joujoux et autres spécialités gastronomiques qui le faisaient saliver rien qu’en y pensant…

Il garnit donc chaque fenêtre en carton de bonbons, Dragibus et autres fraises Tagaga qu’il avait miraculeusement en réserve puis recolla les ouvertures avec un soin à peu près acceptable, en tout cas passable et cela le rendit fier. L’honneur était sauf. L’honneur, peut-être. Mais le démon gourmand ne tarda pas à se réveiller dans les entrailles de Jérôme. Un petit coin de son cerveau s’illumina d’une lumière envieuse: il se rappela tout à coup que ses parents avaient acheté le samedi précédent dans l’hypermarché local, plusieurs calendriers de l’Avent, notamment deux autres destinés à ses cousin(e)s jume(les) aux, Léonard et Léonarda, divins enfants terribles de son excellent oncle Maître Renard.

badges-pour-calendrier-de-l-avent-rouge-vert Il les aimait bien ses cousins. A sa façon. Une façon assez frappante avec volées et peignées à qui mieux mieux. Ils avaient deux ans de moins que lui mais ils étaient deux et si lui-même était plus grand et plus costaud que son âge, il n’en fallait pas moins pour prendre le dessus. La plus dangereuse, c’était elle, Léonarda, qui non seulement mordait, pinçait, griffait contre toutes les lois de la bagarre mais qui surtout criait, pleurait, gémissait avant même d’avoir pris le moindre coup! Au point que Léonard et Jérôme faisaient parfois alliance, l’un pour bâillonner, l’autre pour torturer la victime désignée à force de chatouilles….

Il ne fut pas très difficile à Jérôme de mettre la mains sur les deux calendriers de l’Avent destinés à ses cousins: les parents avaient beaucoup insister pour répéter à Jérôme qu’ils étaient intouchables et qu’on les donnerait aux intéressés si peu intéressants le soir, répondant en cela à une invitation dominicale. Un cas de conscience se présenta à notre Jérôme. Un cas de lèse gourmandise. En premier lieu, il décolla les premières vignettes du mois puisqu’on était le 4 décembre et que donc la date de péremption était comme dépassée. Il recolla les petite cases, avec une habileté croissante. Il  en profita pour avaler huit bouchées chocolatées supplémentaires, avec une dextérité d’autant plus grande qu’il n’y n’avait même pas d’emballage brillant à défaire. 

Tant qu’à faire, les cases 26 à 31 n’avaient aucune raison de compter. Re-collage. Et 12 nouveaux chocolats passés directement du consommateur au consommateur! C’était bien dommage, mais logiquement, il ne pouvait en faire plus. Logiquement. En toute illogique donc , et en moins de temps que mon cher lecteur mettra pour achever cette phrase, il dépouilla toutes les fenêtres du premier calendrier et s’enfila les bonbons chocolatés comme des perles. Il mit davantage de temps pour récupérer le nécessaire dans une de ses réserves de Dragibus et de fraises Flagada Tsoin-tsoin, sans compter quelques oeufs et quelques crocodiles puis de les substituer aux disparus. Collage en sus. 


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Tout autre que Jérôme en serait resté là avec près d’une quarantaine de bouchées chocolatées passées directement de vie à trépas et de gosier à estomac. En toute logique, la crise de foie était assurée. L’indigestion et la saturation jusqu’au vomissement ne faisaient plus de doute. Logiquement. En moins de temps qu’il n’en faudra au pauvre conteur pour terminer sa phrase, Jérôme s’attaqua au second calendrier avec une dextérité et une célérité égales à celles dont il avait fait preuve précédemment. Total et résultat: plus de soixante chocolats portés disparus corps et bien et que Jérôme remplaça par des ersatz toujours assez bons pour ses deux pestes de cousins.

Sur ce, il masqua son forfait avec plus d’application et de bonne volonté que d’efficacité. Il remit le tout à sa place et le tour était joué. Ni vu ni connu. Pas vu pas pris. cause toujours… Bien sûr la morale de l’histoire voudrait que le petit grand Jérôme finisse plié en deux à vomir dans l’évier de la salle de bains ou au-dessus de la lunette des toilettes. Que nenni! Décidément, il n’y a plus de morale mes amis dans les nouveaux contes traditionnels. Son estomac n’avait d’égal que celui des autruches. Il était tellement habitué à se gaver de sucreries, qu’il était en sorte mithridatisé.

Pour ceux qui ont la flemme  d’aller ouvrir un dictionnaire que ,ce verbe « mithridatiser » vient de ce roi grec Mithridate VI dit le Grand  qui avait peur d’être empoisonné par un entourage dont il se méfiait à juste titre. Il prenait chaque jour lui-même un peu de poison et un peu davantage au fur et à mesure pour être immunisé. Or, manque de chance, vaincu par Lucullus puis par Pompée Mithridate s’enfuit alors dans le royaume du Bosphore où régnait Macharès, un de ses fils. Mais  ses soldats  se révoltèrent et proclamèrent roi Pharnace, son fils. Alors Mithridate, voyant qu’il fallait mourir, essaya de s’empoisonner; mais, n’ayant pu y parvenir, parce que le poison n’avait plus d’action sur lui, il se fit tuer par un soldat gaulois.  Ballot, no? La mithridatisation consiste donc à ingérer des doses croissantes d’un produit toxique afin d’acquérir une insensibilité ou une résistance vis-à-vis de celui-ci. C’est le principe même de la vaccination. Vous auriez eu aussi vite fait d’aller consulter votre petit Larousse illustré, non?  Et la mithridisation au chocolat, ça le fait?


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Le gars Jérôme s’était lui-même auto-vacciné à sa manière en passant chaque jour au supermarché pour avaler sur place une ou deux tablettes de chocolat. Voire trois ou quatre. On n’est jamais si bien servi que par soi-même. Il avait repéré où se trouvaient les caméras de sécurité et allait prendre son gouter là où il n’y en avait pas, avec une prédilection pour le rayon télé-hi-fi-vidéo. Cela lui procurait l’avantage supplémentaire de regarder quelques dessins animés avant de jeter les emballages du côté des fruits et légumes ou de la poissonnerie. On est doué ou on ne l’est pas…

Même quand on croit l’être, on ne l’est pas toujours. Le dimanche soir, la belle ruse de Jérôme ne trompa que lui-même. Ses cousins dénoncèrent la supercherie sans ambages et surtout avec un malin plaisir. Ses parents et son oncle lui tombèrent dessus à bras raccourcis. Jérôme avoua piteusement , comptant sur la mansuétude de celui qui plaide coupable et de la période de pré-fête. Ce fut surtout sa fête. Punition humiliante: se déguiser en renne puis en pingouin pour le réveillon et pour le repas de Noël, assurer le service, faire la vaisselle ainsi déguisé. Sans compter qu’il devait participer à faire des bûches au chocolat avec sa mère pour les desserts des deux repas. C’est à cette occasion que se décida sa vocation de pâtissier-chocolatier-confiseur…

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Contes et nouvelles de Noël 2016 n°1: La lettre du Père Noël

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La lettre du Père Noël

    – « Non, non et non, ce n’est plus possible. J’ai beau tirer, rentrer mon ventre, tout ça s’est devenu trop petit. Je reconnais que la bière de Noël, c’est mon pêché mignon mais quand même, ma houppelande a dû rétrécir au lavage: je ne rentre plus dedans! Je ne vais tout de même pas faire ma tournée en slip et en chaussettes avec un bonnet sur la tête! Ce serait le pompon! C’est décidé, il faudra me trouver un remplaçant cette année…. »

Devant sa glace, le Père Noël était en pétard. On était à un mois de cette nuit magique du 24 décembre et il avait commencé par ré-essayer son costume: rien à faire, sa tenue le serrait, le boudinait et  il n’arrivait même plus à la boutonner. Même en rajoutant des bretelles à son pantalon et en ajoutant deux trous à sa ceinture, son ventre débordait avec la consistance d’une méduse échouée. Inutile de se voiler la face, ça ne pouvait plus continuer comme ça…

      -« Et puis ça tombe bien: je ne suis plus trop motivé. Tout le monde croit que je ne travaille qu’une nuit dans l’année et que je me prélasse le reste du temps. Et les commandes? Et les paquets-cadeaux à organiser avec les lutins? Et la révision du traîneau et de ces rennes nonchalants? Et le planning? Qui se coltine tout ça? C’est le père Bibi!

        Je me sens dépassé. Les jouets en bois, les poupées et les dinettes, les voitures de pompiers, les circuits 24 et les châteaux forts, les jeux de société et les vélos, ça je comprenais. Les lumières dans les yeux des gamins, c’était ma récompense, ma jubilation, mon Graal. Maintenant, les lumières sont dans les tablettes, les jeux vidéos et autres ordis… Beurk, beurk, beurk! Allez, c’est fini…. J’écris ma lettre de démission et on n’en parle plus. 

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 Au Grand Manitou, 

Je renonce. Je prends ma retraite. Il est temps pour moi de laisser ma hotte et de tourner la page. Je mesure la chance que j’ai eue pendant tant d’années d’apporter aux bambins la joie naïve et sucrée des cadeaux et joujoux par milliers. Mon corps ne suit plus et je doute même de pouvoir ressortir de la moindre cheminée. Mon esprit me pousse à croire qu’il est nécessaire de s’adapter à notre époque: il faudrait sans doute remplacer le traditionnel traîneau et ses imprévisibles rennes à clochettes par une rutilante Ferrari rouge, histoire de respecter le code couleurs. Je propose également que les vieillots petits lutins laissent place à des petits chaperons rouges un peu plus sexy, féminisation oblige.

Le Père Noël en resta là. Il n’était pas satisfait de ce qu’il avait écrit. Le Grand Manitou était toujours resté sourd à ses demandes et il n’y avait pas de raison qu’il en fût autrement. Ce n’était pas la première fois qu’il avait exprimé son souhait d’arrêter, de n’être plus, au fil du temps, qu’un simple livreur express, un misérable VRP provincial , toujours sur les routes sous le gel , la neige et les frimas. Sans parler des obligatoires séances de pose dans les grands magasins où la moitié des mioches pleurait de terreur en le voyant et où l’autre moitié ne pensait qu’à lui tirer la barbe pour vérifier que « c’était une vraie! » Le Père Noël froissa sa lettre et visa la poubelle. Rt la rata. Y’a des jours comme ça…

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En guise de consolation, le Père Noël se décapsula une bière de Noël, déjà la cinquième de la journée. Il ruminait ses pensées comme une tempête sous un crâne d’ours blanc. Il rêvait déjà d’une paisible retraite , les doigts de pieds en éventail sur une plage de sable fin, au soleil. Au diable la marmaille, l’écharpe et le bonnet, le verglas et les engelures! Il s’y voyait déjà… Alors, tout à coup, pour concrétiser cette nouvelle vie, il décida de reprendre la plume pour passer une annonce.

« Pour cause de cessation d’activités, le Père Noël cherche un jeune successeur. Travail intensif sur un mois et demi environ. Ouvre des horizons puisqu’il permet de faire le tour du monde, tous frais payés. Traîneau et rennes de fonction fournis, en l’état. Prévoir fabrication d’un costume traditionnel sur mesure, barbe naturelle ou postiche indispensable. Si sujet au vertige s’abstenir. Idem pour les allergiques à « Gingle Bell », « Il est né le divin enfant « ou « Petit Papa Noël » de Tino Rossi.

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Il envoya cette annonce à un millier de personnes, au petit bonheur la chance, parmi son répertoire de livraison, épais comme plusieurs annuaires. Heureusement, il disposait d’une photocopieuse-mise en plis performante et il était dispensé d’affranchissement. Il ne reçut aucune réponse. Enfin si, une. Au bout d’une semaine. Elle émanait d’un petit Nicolas, 7 ans, habitant une commune d’Eure-et-Loir, moins de 350 habitants, Chassant, près de Thiron-Gardais.

 » Père Noël,

J’ai trouvé ton courrier. Mes parents n’ont pas ouvert la lettre. Je croyais que c’était pour moi. Comme ton adresse personnelle était au dos de l’enveloppe, je te réponds directement. Je suis trop petit pour te remplacer. C’est dommage: je crois que c’est un travail qui m’aurait intéressé. 

J’en profite pour te dire que cette année, ce ne sera pas la peine de m’apporter des cadeaux. Je n’ai pas le coeur à ça. J’en ai déjà beaucoup et, de toutes façons, je ne joue plus. Mes parents passent leur temps à se disputer et à crier. C’est ça qui me rend triste. Ils ne s’occupent même plus de moi. 

J’avais un ami mais il est mort il y a quelques jours. C’était un chien noir et blanc, un griffon-khorthal (je ne suis pas sûr de l’orthographe) , mon complice depuis ma naissance. Mes parents ne veulent pas le remplacer sous prétexte qu’il  laissait des poils partout. Ils disent même qu’il puait mais c’est seulement quand il revenait de ses promenades sous la pluie. Il s’appelait Boule et c’était mon seul vrai ami.

Je te souhaite bon courage tout de même pour ta tournée cette année. Les enfants ont besoin de

croire en toi. « 

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Le Père Noël fut touché par cette lettre. Qui ne l’aurait pas été? Alors il décida de faire sa tournée, en rajustant sa tenue du mieux qu’il put. Il commença cette tournée en garant son traîneau derrière l’église de Saint-Lubin, à Chassant. Il attendit le moment opportun, celui où toutes les lumières de la maison de Nicolas furent éteintes, en faisant la causette avec le vaillant soldat du monument aux morts sculpté par Félix Charpentier.

   -« C’est un bon petit gars, Père Noël. Il vient souvent jouer aux billes ou avec son petit vélo rouge ici. Mais il a souvent les yeux dans le vide. Il est bien triste… » lui confirma le Poilu, l’arme aux pieds. 

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Subrepticement, le Père Noël se glissa tant bien que mal dans la cheminée vers vingt-deux heures. La fête avait dû être bien courte… Sur la pointe des bottes, il trouva la chambre du petit Nicolas . Le garçonnaît ne dormait pas. Il avait le nez collé à la fenêtre et regardait le ciel et les étoiles. Il ne s’étonna même pas de la présence du Père Noël.  Ce dernier s’approcha, l’index sur la bouche, et lui chuchotta à l’oreille:

« – J’ai bien reçu ton courrier. Pour te remercier, je suis venu te voir un moment. Tu n’as pas envie de cadeaux cette année, je comprends. Ce n’est pas dans mes attributions de faire se réconcilier les parents. J’aurais pu t’apporter un chiot, mais cela aurait posé des problèmes avec eux. Alors, je t’ai tout de même amené ça… »

Il ouvrit sa houppelande dans la quelle il avait dissimulé … un chien en peluche. Noir et blanc, de la même race que Boule. Une toute petite peluche.

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Nicolas pleura doucement. D’émotion et de joie mêlés. Puis il se serra très fort contre le Père Noël, sans un mot. 

-« Plus tard, je veux faire Père Noël. » dit-il seulement.

– « D’accord » soupira-t-il d’une voix étranglée.

Ils restèrent encore ensemble un bon moment, devant la fenêtre, en contemplant la nuit étoilée. Le Père Noël avait posé sa main sur l’épaule de l’enfant. Il lui confia quelques secrets. Puis ils se séparèrent tout simplement. Nicolas s’endormit aussitôt, le coeur allégé. Le Père Noël, joyeux, reprit les rennes avec une énergie décuplée et se promettant de faire un régime: un seul chocolat par jour dans le calendrier qu’il venait d’inventer, celui de l’Après. Et une seule bière. Ce serait dur mais il le ferait pour Nicolas, jusqu’à ce qu’il puisse lui confier les clés du traîneau et de la magie dans le coeur d’autres enfants.

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