Images du jour: l’Afrique en sourires
L’Afrique(s) est à l’honneur pour cette 19 ème édition du Printemps des poètes. A ce titre, rendons hommage à un poète mauritanien, trop tôt disparu en octobre 2015: Djibril Hamet Ly. Il avait profondément marqué une poétesse de mes amies qui lui a écrit ce poème en mémoire de leur éblouïssante rencontre. Ce jour-là, il y eut une sorte de révélation poétique….
Le nom de la fleur
Le nom de la fleur
Il est entré
Une fleur blanche dans sa main noire
Il est entré
Son pas, ses babouches
Il s’avance
Les mots blottis dans ses bras,
Les mots à la porte de sa bouche
Il est entré,
Le sourire ouvert, large
Il sert du bout de ses yeux l’image de son pays
Il envoie le soleil, la couleur, la chaleur de sa Mauritanie
Il est entré
Une fleur blanche dans sa main noire
Une fleur qu’il penche
Pour la mieux voir
Pour qu’on la sente, qu’on la respire
Il demande et redemande
Cette fleur, quel est son nom ?
Qui peut me dire son nom ?
Personne ne sait, personne ne répond
Personne pour dire sans erreur
Le nom de cette fleur qu’il a cueillie
Au jardin de notre pays
Sur le tapis, il s’est assis
La fleur humée, sans nom, posée à ses pieds
Il est assis, les jambes en tailleur
Devant lui, comme des pétales,
S’étalent des feuilles et des feuilles de papier
Des mots couchés, des mots venus d’ailleurs
Il est assis
Le silence se fait, le silence s’est assis.
Voilà l’homme en voyage, la voix de l’homme sage
Voilà que de toutes rives, arrive l’air, arrive la brise légère
Voilà que se fait le vent, un vent de partout
Un vent venu du bout de tout
Voilà qu’arrivent de toutes rives des nuages d’oiseaux,
Des oiseaux d’étangs, de lacs, de rivières
Des oiseaux de ruisseaux, de mers, d’océans
Des oiseaux de mille rivages
Pour nicher leur chant, au chant de nos prières, au chant de nos langages.
Il est assis
Il apporte du bout de tout, la lumières des petites flammes
Il apporte du bout de tout, le chant magique des tam-tams
Il est assis
Il dit la prison, il dit le bagne
Pour cet écrit, pour ce trop de mots
A vouloir sauver la couleur d’une peau,
A vouloir sauver la couleur de sa peau
Il dit ses frères, tous ses frères engloutis
Que la mort un jour a condamné à vie
Il dit la grandeur des femmes de son village
Leur force à sortir les hommes de cet enfer
Leur courage à les sortir de cette cage
Il dit sa souffrance du manque de la page
Du manque de l’outil, pour la trace de l’écrit
Il dit l’histoire de ce poème qu’il confie
Un poème en conserve dans la tête de son ami
De son frère d’arme comme lui
Un frère gardien des mots, gardien de ses maux
Le corps derrière les barreaux
Il est assis
Il déclame pour nous ce poème sorti de sa prison
Sorti de cette boîte d’enfer, sorti de la grande mémoire de son ami
Il déclame ce poème revenu à la maison, cette poésie qui guérit, desserre l’étau
Cet étau qui écrase la tête, cet étau qui sert à tuer les mots
Il est assis, la fleur blanche devant lui
Il est assis à la lumière de sa poésie
Celle qui dit : Ose ! Il faut oser
Va longtemps, va loin, va si loin celui qui ose
Il est assis, on est debout
Debout devant cet homme du bout de tout
J’ai cueilli sur le tapis, dans ma main blanche
Cette fleur sans nom qui sent si bon
Je respire son essence
Il dit : gardez là cette fleur au parfum si doux
Gardez-la comme un cœur, je vous l’offre, elle est à vous
Il est parti
Il a laissé son langage, il a laissé son message
Il a laissé une lettre de ce long voyage
Il est parti
Sa tunique bleue sur la nuit a glissé
Sa tunique bleue, je l’ai ramassée
Il est parti
Et qu’importe, qu’importe le nom de la fleur
Qu’importe
Seul importe son parfum, seul importe son odeur,
Seul compte, le pouvoir de nourrir le cœur.
Écrit
le 21/01/2017