S'il te plaît, apprivoise-moi…

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Conte de Noël n°8 : Le Racolage du Père Noël par Armande

400x481_moto_pere_noelJe me rendais au boulot sur ma moto Suzuki , elle roule bien, une bonne fifille. Je devais faire le père Noël aux Galeries farfouillette du bled, et je savais pas trop par où y accéder. Les nouvelles zones commerciales en dehors de la ville sont toujours à 2 min, mais il y avait du brouillard dehors et mon casque n’est pas au top : il y a aussi du brouillard à l’intérieur.
J’aperçois du monde sur le bord de la route, je vais m’arrêter demander mon chemin. En m’approchant, j’avise que ce sont des belles de nuit, même si on est encore dans l’après-midi. Court vêtues, décolletées malgré le temps frisquet, mignonnes, mais elles ne doivent pas avoir bien chaud, les pauvrettes. Moi, avec ma tenue de Père
Noël, elles m’ont tout de suite repéré et plusieurs sont venues vers moi en riant. J’ai enlevé mon casque pour leur demander mon chemin, mais n’en ai pas eu le temps.
Soudain ! ils me sont tombés dessus, avéré et véridique ! Ils ont même fait renverser la moto, les saligauds… et moi j’ai failli rester dessous, mais ils m’ont attrapé, coincé un bras dans le dos, réclamé mes papiers, dévisagé, reniflé – je parle des chiens, puis fouillé, tripoté, ils
ont cherché et fini par trouver ma2488061_624cd
barrette de shit que j’apportais
pour faire la fête ce soir avec mon
copain Marcel. Ben quoi, c’est
Noël quand même ! Ils m’ont
traîné jusqu’à leur voiture et
emmené quelque part pourx240-rg9
interrogatoire. J’avais beau leur
dire que j’allais travailler, que je
cherchais le centre commercial
pour aller faire le guignol, rien à
foutre. Quand ils m’ont relâché, je
pouvais dire adieu à mes cinq heures de CDD, et j’étais grillé à l’Agence. Et en prime un procès pour racolage, rien que ça ! et une mise en demeure pour
détention et usage de substance prohibée. Ah les vaches ! Le pire c’est qu’ils me l’ont piquée, ma camelote. C’est même pas moi qui en aurai l’usage…
Quand ils m’ont relâché, j’ai quand même eu le droit d’aller récupérer ma moto et je l’ai retrouvée sur le terrain maudit. Elle était couchée dans une flaque d’huile et d’essence. Je l’ai relevée, le bas de ma houppelande de papa Noël a trempé dans la boue huileuse, j’en serai quitte pour un nettoyage au pressing. J’ai démarré la bécane, j’espère qu’il reste assez d’essence pour rouler jusqu’à une station. Au fait, est-ce qu’ils m’ont rendu mes dix euros ?
Avant de partir, j’ai craqué une allumette et l’ai envoyée dans la flaque d’essence. Ça a fait un beau feu de joie, ça aura réchauffé les demoiselles, qui m’ont crié :
– Joyeux Noël !

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Finalement, Noël, c’est quoi, au juste ?
Armande Burneau

Conte de Noël 2016 n°7: « La crèche vivante » par Armande

Dans la nuit, les cloches sonnaient à toute volée, appelant les fidèles pour la
Messe de Noël. Quelques flocons de neige virevoltaient. Les groupes emmitouflés
se pressaient vers les vitraux illuminés de l’église, havre rassurant dans le froid et les
ténèbres.
Monsieur le Curé avait eu l’idée cette année de faire une crèche vivante.
Dans un coin de la chapelle de la Vierge, avec l’aide du sacristain et des enfants de
chœur, il avait échafaudé un petit hangar53boeuf
recouvert de tôles moussues, dans lequel
Fernand, le plus proche fermier, était
venu déposer quelques bottes de paille et
un bœuf, qui pour l’heure ruminait,
béatement couché sur le chaume. L’âne
avait été prêté par la Claudine. Il
regardait de son œil doux les gens
s’installer. Les enfants, excités et curieux,
s’avançaient et lui lançaient quelques
brindilles, aussitôt rabroués par leurs
parents. L’orgue soudain entonna les
premières notes du chant d’accueil.
Cadichon, affolé, se cabra et se mit à
braire avec ardeur. Hi Han ! Hi Han ! Hi
à calmer la bête terrifiée. L’organiste, rouspétant contre les initiatives du curé, se
Han ! Quel chahut dans l’église ! Le
sacristain se précipita et eut bien du mal
remit à jouer mezza voce, redoutant un nouvel esclandre. Enfin Monsieur le Curé put
commencer la lecture de l’Evangile.
« En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre. Ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. Et chacun allait se faire inscrire dans sa ville d’origine. Joseph, lui aussi, quitta la ville de Nazareth en Galilée, pour monter en Judée, à la ville de David appelée Bethléem, car il était de la maison et de la descendance de David. Il venait se faire inscrire avec Marie, son épouse, qui était enceinte. Or, pendant qu’ils étaient là, arrivèrent les jours où elle devait enfanter. Et elle mit au monde son fils premier né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. »

Une crèche vivante simplement faite du plaisir d'être ensemble.

C’est à ce moment-là que Saint Joseph et la Vierge Marie tenant l’Enfant
Jésus devaient se présenter. Lorsqu’ils firent irruption et s’installèrent entre le bœuf
et l’âne gris, les fidèles des rangs les plus proches se mirent à murmurer, à
s’interpeler, se pousser du coude, à s’apostropher et chacun dans les bancs,
derrière, se tordait le cou pour voir et essayer de comprendre le motif de cette
effervescence.
– Mais c’est la Josette qu’ils ont pris pour faire la Vierge! Cette
dévergondée !
Léonard !
– Elle ne sait même pas qui est le père de son enfant !
– C’est peut-être le Saint-Esprit ?
– Quel scandale !
– Et St Joseph ! Vous avez vu qui ils ont mis en St Joseph ? Le vieux
– Un vieux vicieux et une dépravée ! C’est honteux !
– Il fallait quelqu’un avec une barbe…
– Mais n’importe qui de propre et honnête peut se laisser pousser la barbe !
– Et venir mettre un vrai nouveau-né à côté d’un bœuf et d’un âne ! Dans la
paille ! C’est scandaleux, répugnant, infâme !
– Dans la chapelle de la Vierge, en plus !
7aed93_0958fb06c15c4c7588cd3820b1de2a7aBref, le chahut enflait, la réprobation s’exaspérait. On montrait du doigt, on
invectivait, et même des injures fusèrent dans l’enceinte de la maison de Dieu.
Monsieur le Curé avait bien du mal à se faire entendre. Il saisit la sonnette
de la consécration et se mit à l’agiter furieusement, ce qui ramena quelque calme
dans l’assemblée. Mais on entendait encore de ci de là quelques invectives et
propos insultants.
Le prêtre put enfin ouvrir la bouche. Il morigéna sévèrement son auditoire,
traitant de mécréants et d’égoïstes ceux qui ne prenaient pas en pitié les plus
pauvres et les moins bien lotis qu’eux. Il fulmina un moment, puis s’arrêta lorsqu’il
s’aperçut que les fidèles, l’un après l’autre, puis par familles entières, quittaient le
lieu saint.
– Mais attendez, pourquoi partez-vous ? Ce soir c’est la nuit de Noël où
chacun ouvre son cœur et sa porte pour accueillir l’enfant Jésus, l’enfant pauvre, les
déshérités et les malheureux, et vous, vous partez, vous refusez l’amour qui vous
est donné, et vous refusez de donner à votre tour ?
Il restait là, le pauvre curé, les bras ballants, défait et désespéré. La jeune
maman s’était recroquevillée sur son bébé pour le protéger de toute cette haine
qu’on déversait sur eux. Saint Joseph avait posé sur son épaule une main
protectrice qui se serait voulue rassurante, mais qui tremblait. Tout à coup le bébé
se mit à hoqueter, puis ses cris fusèrent et furent répercutés longuement sous les
voûtes ancestrales de la petite église.

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Alors ceux qui sortaient hésitèrent. Oui, il y avait là un nouveau-né, un bébé
pur et sans faute, un bébé innocent. Sa mère n’était pas vierge certes, tout le monde
le savait, mais c’était une pauvre fille, qui avait été violée et violentée, et de ce fait
rejetée de tous. Mais était-ce de sa faute ? Quant au St Joseph, certes il n’était pas
bien propre, pas bien futé, mais pas mauvais bougre au fond, il rendait service aux
uns et aux autres moyennant une soupe ou un morceau de lard. Bien sûr, on aurait
préféré que ce soit le fils du charcutier ou la fille du boulanger, gens respectables
sinon honnêtes, qui soient choisis, mais le curé avait raison quelque part, à Noël il
faut ouvrir son cœur…
Petit à petit, les gens reprirent en silence leur place dans les bancs. Le bébé
maintenant tétait goulument le sein de sa mère et les femmes leur jetaient des
coups d’œil envieux. Saint-Joseph, gêné, tournait ostensiblement le dos, et caressait
les oreilles du bœuf pour ne pas montrer son trouble.
Monsieur le Curé reprit la lecture de l’Évangile.
« Dans les environs se trouvaient des bergers qui passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. L’ange du Seigneur s’approcha, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte, mais l’ange leur dit :
« Ne craignez pas, car voici que je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : aujourd’hui vous est né un Sauveur dans la ville de David. Il est le Messie, le Seigneur. Et voilà le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire.

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Il était prévu que les bergers et leurs moutons rejoignent la crèche. Ils
arrivèrent du fond de l’église en troupeau serré, avec le chien en serre-file. Certains
pensaient que tout ça n’avait pas grand-chose à voir avec une messe de minuit, et
leur certitude fut confirmée que ce furent les rois mages qui défilèrent. Comme les
chameaux sont rares dans nos campagnes, c’étaient deux gus sous une pelisse qui
figuraient la bête exotique, ce qui provoqua des éclats de rire parmi les enfants et
des protestations chez les paroissiens scandalisés. Quelqu’un cria :
– On se croirait au cirque !
Lorsque tout ce monde fut regroupé autour de la crèche, les moutons un
peu perdus allant et venant dans les allées, bêlant et broutant le bas des manteaux,
le prêtre reprit :
« Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ! »
L’orgue entonna un Alleluia joyeux que l’assemblée reprit, d’abord avec réticence, puis avec de plus en plus d’ardeur, tant il est vrai que les pleurs d’un petit enfant peuvent changer les cœurs les plus endurcis.
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Conte de Noël d’Armande: La messe de minuit est sonnée

LA MESSE DE MINUIT EST SONNÉE

 

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Dans ce petit village de Vendée, la messe de minuit est sonnée, les villageois se hâtent vers l’Église illuminée. Ils se pressent, emmitouflés dans leurs plus belles pelisses, ils ont aux pieds leurs chaussures fourrées et ferrées pour marcher dans la neige gelée, insolite par ici. Mais les enfants ravis patinent et s’effondrent parfois, se relèvent poudrés de blanc, réprimandés par leurs parents soucieux du qu’en dira-t-on.

Sur le seuil de l’église, un peu camouflé dans l’ombre, un homme joue de l’orgue de Barbarie. Les airs de Noël s’égrènent dans la nuit et les cœurs s’attendrissent. Mais qui donc est ce mendiant ? Feu le vieil Anasthase, à qui l’on s’était habitué, aurait-il un successeur ? Qui donc le remplace ? Les femmes essaient de scruter l’ombre pour découvrir le visage de l’intrus et décident d’attendre la fin de l’office pour laisser tomber la petite pièce qu’elles avaient préparée parce que c’est Noël.

Mais une fois le porche passé, on se bouscule, on se recule. Qui sont-ils, ceux-là ? Une tribu entière, à la peau basanée, bizarrement accoutrée, est agglutinée sur les derniers bancs, les plus proches de la sortie. Il y a des gamins, des vieux, une matrone, des jeunes filles, des grands gars, toute une nichée de gitans, ma parole ! Ou des clandestins si ça se trouve ! Les fidèles font un détour avec des regards torves, pour rejoindre leurs places assignées. Comment Monsieur le Curé accepte-t-il ces étrangers dans son église ? D’ailleurs, une bonne âme se rend à petits pas pressés jusqu’à la sacristie pour informer le prêtre de ces usurpateurs dans les lieux saints. Mais le curé, bonasse, leur répond d’un revers de main que ce sont des chrétiens comme vous et moi, et qu’il n’y a aucune raison de prendre ombrage de leur présence. N’empêche. Chacun se retourne à demi pour observer ce troupeau au teint trop sombre, aux habits hétéroclites trop colorés, de drôles de chrétiens, pour sûr.


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Monsieur le Curé Jonas  dans sa chasuble de fête blanche, fait son entrée, précédé des quatre enfants de chœur parés de leur surplis immaculé sur la soutanelle rouge. 

 Il jette un coup d’œil à l’assemblée, et sans crier gare se précipite vers le fond de l’église et invite les romanichels à avancer jusqu’aux premiers bancs. Il repousse les honnêtes gens dont la place est assignée par l’usage, leur demande de se mettre plus loin, et invite les intrus à s’installer à leur place, les réconfortant et les rassurant, au milieu des allusions peu amènes et des insultes qui fusent à mi-voix. Les fidèles se sont écartés, ont fait le vide autour du premier banc, se sont reculés et refoulés, se sont agglutinés, mécontents et hargneux, dans les allées latérales d’où l’on ne voit rien, coincés derrières les piliers.

Enfin la messe de la nuit de Noël commence dans la réprobation et la mauvaise humeur, l’incompréhension. On chante à contrecœur Douce Nuit, Sainte Nuit. On chante quand même : Il est né le divin enfant.

Monsieur le Curé est en chaire, et après avoir déclamé la joie de Noël, il fait son sermon traditionnel de partage et d’amour, insistant bien sûr aujourd’hui sur l’accueil des plus déshérités. Il insiste même lourdement, proposant à chacun de recevoir chez lui ces gens sans maison qui ont, tels Marie et Joseph il y a deux mille ans, fait escale dans leur village,. 

– Ne répétons pas l’histoire, insiste-t-il en agitant les mains, ouvrons nos cœurs et nos portes !

L’assemblée baisse la tête, regarde ses souliers, et les pensées se lisent sur les visages : « C’est bien trop petit, chez moi », « Je n’ai pas assez à manger pour toute cette tribu », « Je viens juste de cirer le parquet… », « Si on les appelle les voleurs de poules, il y a une bonne raison ! », « Et pourquoi il ne les reçoit pas au presbytère, lui ? », « Mon chapon ne sera pas assez gros pour tout ce monde ! », « Moi je ne réveillonne pas, je vais aller me coucher en rentrant », « Tu parles, pour qu’ils me fauchent mes bougeoirs en vermeil ! ». Chacun a une bonne raison pour s’éviter la corvée.

Une voix de fillette soudain rompt le silence gêné.

– Et si on faisait un pique-nique ici, dans l’église ? Il y a de la place pour tout le monde…

Un brouhaha, un tohu-bohu enfle et se répercute sous les voûtes. On discute, on vocifère, on gesticule. Monsieur Kalpserski, Maire et décoré, monte prestement l’escalier de la chaire et repousse le Curé :

– Ah vous en avez fait, un bel esclandre !

Le prêtre écarte les mains en faisant la moue, d’un air de dire : « Je ne pouvais pas prévoir… ».

Le Maire tape inutilement sur le bois de la chaire pour faire taire l’assemblée, se meurtrit la main, alors il ôte sa chaussure et frappe, et la dure semelle ferrée écorche la belle patine de la balustrade cirée. Le prêtre fait un geste pour faire cesser le massacre, mais le maire l’écarte d’un geste autoritaire. Enfin la cacophonie s’atténue et l’édile énonce : 

– Je trouve l’idée intéressante, merci de l’avoir suggérée. Mais il faut que Monsieur le Curé soit d’accord pour nous accueillir dans ce lieu saint. 

– Ma foi, répond le prêtre circonspect, rien ne s’y oppose si tout le monde le souhaite ?

Mais voilà que dans la salle à nouveau les discussions reprennent, de plus en plus vives. Un groupe se forme autour de l’opposant politique de Monsieur Kalpserski, Monsieur Beauchamps.

– Nous n’admettons pas que l’église soit profanée par des agapes qui n’ont rien de chrétiennes. Nous quittons ce lieu.

Et ils entraînent derrière eux femmes et enfants, qui renâclent, privés de la perspective d’une joyeuse soirée peu ordinaire.

– On se croirait à Clochemerle, la pissotière en moins ! Grogne le Maire.

Devant l’agitation, le Curé Jonas hésite à reprendre la Messe de Minuit. Finalement il retourne à l’autel, fait signe à l’organiste de jouer. La musique adoucit les mœurs, et la foule se calme. Durant tous ces débats, les bohémiens sont restés regroupés, quelque peu effrayés, dans les premiers bancs, redoutant de voir déferler la maréchaussée pour les obliger à évacuer. 

La messe cependant reprend son cours, chacun s’efforce de prier, mais tous les esprits sont en ébullition. On est en train de chanter l’Agnus Dei lorsque les lustres se mettent à clignoter. Un éclair traverse les travées de part en part, un grondement monstrueux ébranle l’église jusqu’en ses fondements. Une giboulée de grêlons mitraille la toiture. Bizarrement, il arrive que des orages éclatent en décembre et se déversent sur le coq de l’église. L’assemblée est restée pétrifiée. Dans un claquement sec la foudre, dans une lueur monstrueuse, s’abat. Un craquement horrible. Une fumée sulfureuse envahit le chœur. La sacristie a été foudroyée ! Aussitôt branle-bas de combat ! On s’agite, on court, on crie ! Puis on s’organise, on se concerte, tout le monde s’y met, et les manouches coopèrent avec ardeur. L’incendie est rapidement éteint. Mais la toiture est éventrée et le mobilier écrasé. Le Curé Jonas contemple, abasourdi, les dégâts. Puis remercie du fond du cœur que la foudre ne soit pas tombée sur les fidèles. 

La fin de la messe sera un peu bâclée. Les esprits sont préoccupés, et après toutes ces émotions, le dessein d’un repas exquis accélère les répons des fidèles. À peine l’Amen de l’Ite Missa est formulé, voilà que l’agitation reprend. On remue les bancs ; des tréteaux et des planches sont prêtés par le maréchal ferrant, qui vient de marier sa fille ; chacun s’en va quérir les bons plats préparés pour sa famille, qui vont être partagés le long des tables. Le vigneron est parti avec quelques joyeux drilles en quête d’un tonneau de Mareuil nouveau. Les incontournables plateaux de fruits de mer se comptent par dizaines. Le charcutier déverse saucissons et pâtés tout juste refroidis. Des fumets de rôtis envahissent les travées. Les bûches, les chocolats et les friandises sont mis de côté pour le dessert. Et la matrone des gitans arrive avec une belle platée de rissoles, qu’on appelle ici des foutimassons ou des tourtisseaux, mais ceux-là sont fourrés de compote de pommes. Le Curé n’en revient pas d’une telle effervescence et prodigalité. Jamais il n’a vu une table aussi bien garnie. Pour ne pas être en reste, il s’en va chercher quelques bouteilles de son vin de messe, échappées de l’effondrement de la sacristie : un blanc de St Martin qu’il sucre un peu pour éviter les brûlures d’estomac, et qui fera un bon apéritif.

Mais voilà que font irruption sans crier gare Monsieur Bonchamps accompagné de quelques comparses. Il tient sous son bras un petit barillet et s’exclame d’un ton joyeux :

–  Mes amis, j’ai apporté ma fine de dix ans d’âge. Je la gardais pour mon succès aux prochaines élections, mais je crois qu’on va lui faire sa fête ce soir !

Dans l’assistance, on pourrait entendre quelques commentaires peu bienveillants : 

– Tiens, il vient faire sa campagne pour les municipales !

– Toutes les occasions sont bonnes !

– Il a eu peur pour ses fesses !

Mais Monsieur Kalpserski a tendu des bras bienveillants :

– Venez, venez mes amis, vous nous manquiez !

Monsieur le Curé est benoitement installé : on lui a apporté du chœur le lourd fauteuil, et même quelques coussins. Il est content. Autour de lui ses ouailles et les romanichels rient, chantent et plaisantent ensemble. Les notes aigrelettes de l’orgue de barbarie s’insinuent dans le brouhaha et l’enchantent. Les gamins ont envahi l’édifice de leurs jeux, ils font des acrobaties sur les bancs, et même l’un d’eux s’essaie à gravir la chaire par la face Nord. Et les parents ne disent rien, et lui non plus. C’est Noël. 

Soudain l’image de la sacristie dévastée vient le perturber. Puis une pensée rassurante allume une flamme d’espoir « Ma foi, on va la reconstruire, plus fonctionnelle et salubre qu’avant, les bras ne manquent pas. Quant au financement, ma foi, Dieu y pourvoira puisque c’est lui qui l’a détruite ! » 

Le voilà rasséréné, et il balaie du regard l’assemblée. Il aperçoit une jeune femme toute brune, qu’il n’avait pas encore remarquée. Elle tient serrée contre elle un petit bébé, enveloppé de châles aux vives couleurs. Il lui sourit, elle lui sourit en retour. Alors il se tourne vers l’autel où tremblote la petite lumière rouge, et murmure :

– Merci mon Dieu, de nous avoir envoyé ton petit Jésus.

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Conte de Noël 2016 n°5 : Butiner les étoiles par Armande

 

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A la toute fin de l’été dernier, dans la ruche du petit bois, une effervescence inhabituelle s’est déclenchée. Les butineuses avaient tellement travaillé, la reine avait tant pondu, que la ruche était pleine à craquer.

Alors il se passa, bien tardivement en saison, ce qui aurait dû arriver au printemps, un essaim se forma. Une grande agitation anima le sous-bois, la vieille reine et une nuée d’abeilles tournoyèrent longuement dans la clairière, puis s’éloignèrent dans le bleu du ciel, regroupées en une multitude bourdonnante, vers un improbable gîte.

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 Après avoir volé quelques temps, la reine, épuisée, se laissa choir dans un buisson et l’essaim s’agglutina autour d’elle dans les tiges piquantes d’un roncier. Les aventurières parties en reconnaissance revenaient sans avoir trouvé de havre pour la colonie. Deux fois encore la reine exténuée dut s’arrêter au cours de ce vol chaotique à la recherche d’un refuge. Enfin quelques éclaireuses apparurent, joyeuses et excitées d’avoir trouvé une cavité suffisamment spacieuse pour les héberger, dans les vieilles pierres d’un château moyenâgeux.

La colonie se regroupa. Les cirières aussitôt s‘activèrent à bâtir des alvéoles pour que la reine recommence inlassablement à pondre, malgré la saison tardive. Les avettes, à tour de rôle, régurgitaient le miel qu’elles avaient stocké, pour nourrir leur courageuse maman. L’essaim aventureux reprenait ses activités, les butineuses prospectaient leur nouveau territoire en quête de nectar et de pollen, plus rares en fin d’été qu’au printemps radieux, les gros mâles s’en allaient quérir l’eau de la rosée, les gardiennes montaient la garde.

Ainsi passèrent quelques mois. Les cellules de cire claire s’étaient remplies de miel en prévision de l’hiver. Les premiers frimas regroupèrent jeunes et vieilles autour de leur reine, resserrées sur les brèches en un essaim compact et chaleureux. Les abeilles étaient prêtes à laisser passer la froidure, à attendre les beaux jours.

Il advint qu’une nuit les gardiennes alertées se glissèrent jusqu’au cœur de la grappe pour informer la reine que des humains s’étaient installés juste à l’aplomb de leur gîte, sous une voûte moussue. La reine les apaisa :

– Observez-les, mais laissez-les tranquilles. Si jamais ils se montraient agressifs, alors vous attaqueriez.

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Au bout de quelques instants, les sentinelles revinrent apporter plus amples informations :

– Ils sont trois, ils ont une charrette comme il y en a devant le magasin du village. Dedans, ils ont tassé du foin et un petit d’homme y est couché, enveloppé d’une couverture.

– Quelle histoire ! s’écria la reine, intriguée. Elle connaissait les hommes, du moins l’un d’eux, celui qui s’occupait de sa ruche, autrefois. Elle savait qu’ils ont aussi des mères, les humains, et du couvain également. Se pouvait-il qu’un aussi petit essaim d’hommes soit venu s’installer ici, dans les murs délabrés d’un antique château en ruines, en plein hiver ?

Préoccupée, elle s’approcha de la lisière du nid et entendit ces quelques mots murmurés qui s’élevaient dans le souffle glacé de la bise :

– Tu sais, Joseph, j’ai froid, j’ai faim, je n’ai plus de lait pour l’enfant. Si nous allions le déposer sur les marches de l’église ? Le soir de Noël, il y aura bien quelque bonne âme qui le prendra, s’en occupera, l’aimera ?

Joseph n’avait pas répondu.

La reine des abeilles fut saisie d’une intense émotion. Elle avait entendu, sur les ondes qui volent partout et qui perturbent les abeilles butineuses, elle en avait entendu en boucle, de ces informations de mères qui maltraitent, abandonnent ou laissent mourir leurs enfants. À chaque fois, elle, la Mère par excellence, en était perturbée et meurtrie. Comment une femme dont le plus grand bonheur est d’enfanter, peut-elle agir de la sorte ? Par désespoir, par misère, par bêtise, par égoïsme ? Par pauvreté et abandon, sans aucun doute, pour la petite maman qui pleurait, là.

Alors la Reine ordonna avec douceur :

– Mes poulettes, découpez donc les brèches de nos réserves, et apportez-les à ces pauvres gens qui ont faim.

Aussitôt les abeilles intendantes s’insurgèrent âprement :

– Majesté, on ne vous a pas dit que nous n’avons presque plus de nourriture ? À peine de quoi tenir quelques semaines si le froid persiste et si les bourgeons de saule et de cornouiller ne s’épanouissent pas bientôt…

Que faire ? La Reine leva les yeux vers le ciel noir où scintillait une myriade d’étoiles. Et la solution l’éblouit. Elle héla ses abeilles qui se regroupèrent autour d’elle.

– Mes filles, nous allons aider cette petite famille. Vous voyez les étoiles du ciel, vous voyez ces multitudes de fleurs qui tapissent le firmament, eh bien vous allez les butiner, et rapporter de quoi les nourrir, et nous aussi. Je sais, vous aurez froid, certaines ne reviendront pas et mon cœur se déchire. Que celles qui se sentent assez fortes partent. Les plus faibles resteront réchauffer la ruche. Allez, mes belles, je vous aime, allez !

D’abord réticentes, mais aiguillonnées par ces paroles de confiance et d’espoir, les abeilles prirent leur essor en hésitant, d’abord voletant, indécises, de-ci de-là. Puis, portées par les ondes généreuses de leur Mère, ce fut bientôt un déferlement. Et un tourbillon de butineuses aux ailes scintillantes, tel mille éclats d’étincelles, s’éleva jusqu’au firmament récolter le nectar des étoiles.

A.B.


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Conte inspiré par : Léon l’enfant ourson, d’Antoine Lanciaux, Samuel Ribeyron illustrateur, Belles Histoires n° 424

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