S'il te plaît, apprivoise-moi…

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Conte de Noël 2016 n°5 : « La véritable histoire du Père Noël » de Martine Dardenne (blog Planète Opalie)

la véritable histoire du père Noël

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A ne pas raconter aux enfants….

Après sa journée de labeur, chaque soir du mois de Décembre, le vieux monsieur de Laponie se tord de rire devant sa télévision. Pour rien au monde il ne manquerait toutes ces publicités qui montrent ses sosies dans chaque pays. Des maigres, des gros, des jeunes, des vieux, des pères Noël en moto, en hélicoptère, déguisés en vert, en jaune, en bleu….Et même certains affublés d’une « mère Noël » ! Comme si sa femme accepterait de le suivre, elle qui est si casanière ! …

Non, il n’en est rien de tout cela. Voici comment l’histoire a commencé.

Il y a bien longtemps, l’arrière arrière arrière grand-père du vieux monsieur de Laponie, trouvait la nuit polaire bien longue et s’ennuyait. Il s’était alors mis en tête de fabriquer des jouets puis de les distribuer à tous les enfants de son petit village finlandais. En échange, les parents lui offriraient sans doute des victuailles, pour lui et son troupeau de rennes. Ils lui couperaient son bois, car lui se sentait fatigué pour une telle besogne.

Et c’est exactement ce qui arriva. ….Cette heureuse initiative avait un si grand succès que les années suivantes, ce brave homme dut appeler les jeunes du village pour lui donner un coup de main.

Cette fabrique artisanale avait pris une grande ampleur car elle avait fait écho dans les villages voisins et tous les enfants réclamaient leur jouet à l’approche de Noël. Bientôt, l’ancêtre dut organiser des livraisons. Alors il mit six de ses rennes à contribution et remplit son traineau avec les paquets cadeaux contenant les précieux trésors. Puis il partait la nuit du 24 Décembre, emmitouflé dans son manteau de laine rouge, sa fourrure d’ours sur les genoux.

« Ho ho ho », criait-il à l’entrée de chaque village, afin de freiner son attelage. Les enfants l’entendaient et les petits coeurs battaient d’émotion, se demandant quelle serait leur surprise. Les parents préparaient parfois du vin chaud pour le vieillard ; ils le trouvaient bien courageux de se promener la nuit par moins 30 degrés, rien que pour le plaisir des enfants…
C’est ainsi que naquit la tradition.

Vers les années cinquante, des touristes américains eurent l’idée saugrenue de partir en vacances en Laponie. Après avoir éprouvé les sensations du traineau sur les immensités neigeuses, après avoir admiré les élevages de rennes, après avoir frissonné au chant des loups, ils visitèrent l’atelier des jouets et furent émerveillés. Le guide de l’agence touristique leur expliqua l’historique. Et naturellement, dès leur retour en Amérique, l’idée d’en faire un business se répandit très vite.

Le vieux monsieur de Laponie fut très étonné de son succès grandissant. Bientôt il commença à recevoir des tonnes de courrier en provenance de la planète entière. Ne parlant que le Finnois, il ne comprenait rien à toutes ces langues étrangères et dut embaucher un traducteur. Sur chaque enveloppe était écrit « père Noël » ou bien « Christmas father » ou encore « joulupukki » et ces appellations le faisaient bien rire.

Des enfants de tous pays lui écrivaient des lettres pleines de gentillesse, qui s’avéraient être de véritables bons de commandes pour des jouets. Le vieil éleveur de rennes ne se sentait pas le cœur de les décevoir et créa une véritable usine de fabrication, au milieu des sapins. Il embaucha comme ouvriers, tous les lutins de la forêt. Et comme il se faisait très vieux et fatigué, il eut la sagesse d’enseigner le métier à son fils, qui lui-même apprit le métier à son propre fils.

Les années, les décennies passèrent… Le petit village finlandais prospérait car chacun tenait un rôle important dans la fabrique de jouets : bûcherons, ébénistes, sculpteurs, peintres, magasiniers, tous travaillaient pour la même cause. Bientôt, l’usine tourna toute l’année, faisant vivre la population à un rythme effréné.

Aujourd’hui, le vieux monsieur de Laponie est le septième de sa génération. Chaque année au mois de Décembre, les lettres lui parviennent et le traducteur lui explique les commandes. Cependant, il lui est très difficile de satisfaire les enfants de notre époque ; ceux-ci lui demandant des choses impossibles, des jouets qu’on ne peut fabriquer avec du bois !

Il est loin le temps où son ancêtre sculptait minutieusement ses pantins et ses tambours pour les enfants du village…Désormais il est contraint de passer commandes à des prestataires japonais ou chinois, afin de fabriquer les jeux sophistiqués qu’il ne connait pas, sauf en publicité à la télévision.

Lorsqu’ il regarde les émissions célébrant sa notoriété, il est un peu triste de voir toutes ces mascarades, ces montagnes de jouets qui finiront dans les poubelles. Le vieux monsieur de Laponie est dépassé par les évènements. Le progrès va trop vite pour lui ; les enfants grandissent trop vite. D’ailleurs, les enfants existent-ils encore ? Il se le demande parfois…

Un jour de grand blues, il songea à se reconvertir et à fermer l’usine de jouets ; mais les lutins se révoltèrent et menacèrent de se syndiquer. Les habitants du village manifestèrent leur désaccord en encerclant l’usine.

Même les rennes tapèrent violemment du sabot. Car il faut les voir, comme ils piaffent d’impatience tous les 24 Décembre avant de s’envoler dans la nuit étoilée, au-dessus des villes et des villages de la terre entière…

Face à une telle pression, un tel désarroi, un si beau témoignage d’amour, le père Noël se dit : « Je ne peux détruire une si belle légende »…

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Nouvelles de Martine Dardenne (Planète Opalie): Victor ou la vie derrière soi

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Je vais bientôt mourir” m’annonça-t-il en souriant.

Victor ne plaisante jamais, mais cette fois, je crus qu’il dérogeait à la règle. Au vu de son apparence physique plutôt guillerette pour ses 95 ans, l’idée même de sa mort prochaine ne pouvait m’effleurer.

Six ans que nous sommes voisins lui et moi. Avec sa stature militaire, ses costumes prince-de-Galles et ses éternelles chemises blanches, Victor est d’une rare élégance. Chaque fois que nous nous croisons, il a toujours ce geste courtois, ce petit mot un tantinet vieille France, qui me ravissent. Depuis quelques temps, il est vrai que je le vois moins souvent tailler ses rosiers ou prendre sa voiture. Mais il écoute toujours ses airs d’opéra, chaque après-midi.  Un jour je me suis inquiétée de le voir emmené par une ambulance. Mais il était revenu, frais comme un gardon pestant contre ces “sacrés toubibs qui ne voulaient pas le laisser sortir de l’hôpital”. Ah Victor ! Sans doute le plus ancien du quartier et assurêment mon préféré.

Ma petite fille aura un bébé en Décembre, je ne peux donc lui faire faux-bond, ce serait inconvenant de ma part. Mais après je mourrai. Ma vie est derrière moi et je ne veux pas devenir une charge.

J’eus beau paraître scandalisée par un tel discours et lui assurer qu’il ne dérangeait personne, que tout le monde serait ravi de lui venir en aide si besoin était, il resta ferme sur sa position.

Au moment où je m’apprêtai à prendre congé en lui souhaitant une bonne journée, je perçus une petite lueur malicieuse dans son regard : “j’attendrai janvier, pour vous présenter mes voeux”…

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Retrouvez cette nouvelle et bien d’autres sur l’excellent blog de Marine Dardenne:

Nouvelles de Martine Dardenne (blog: planète Opalie): « Un amant pas comme les autres »

un amant pas comme les autres

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Des semaines longues comme des siècles s’étaient écoulées. Cette attente la minait jusqu’à la moelle et l’affaiblissait de jour en jour. Elle n’avait plus la force de scruter l’horizon et bientôt la résignation s’insinua. Il ne lui restait plus qu’à apprivoiser la nuit, question de survie.

Il est courant de croire que les choses arrivent au moment où l’on s’y attend le moins. Et ce fut précisément le cas. Un matin frileux comme tous les matins, à l’instant où le merle se mit à chanter, il ré-apparut.

Insouciant, taquin tel un enfant qui aurait fait une bonne blague, il se glissa jusqu’à elle. La douce chaleur de ses caresses eurent tôt fait de vaincre toute résistance. Emoustillée malgré elle, mue par un désir soudain, sans plus réfléchir elle se dénuda.

Comme par enchantement les rancoeurs avaient disparu, l’interminable attente oubliée. Ils étaient seuls au monde, réunis, enfin. Gourmande et ravie, elle savoura sans remord cette renaissance des sens.

Le temps s’arrêta mais les heures passèrent. Elle aurait voulu le retenir pour l’éternité, prête à toutes concessions. Mais elle sut qu’il repartirait, consciente de l’éphémère et certaine de sa trahison future. Supplier ne servirait à rien, elle ne maîtrisait pas la situation. L’empreinte sur sa peau serait son unique souvenir.

Le soleil n’étant pas un amant comme les autres, il a l’élégance de couvrir d’or celles qui l’adorent. A la fin du jour il s’éloigna puis s’évanouit dans la mer, comme certains fuient dans le silence.

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Merci une nouvelle fois à Martine pour sa plume ensoleillée. Retrouvez-la sur son blog:
 

Nouvelles de Martine Dardenne de sa Planète Opalie: L’appel (ou panne sèche)

l’appel (ou panne sèche)

tarfayaAu petit matin j’avais quitté Agadir dans la brume. Destination Tarfaya, 550 kms de route goudronnée, m’avait-on assurée. Le plein de carburant fait à la dernière station, deux jerricans de gaz-oil et quatre bouteilles d’eau minérale, ce fut d’un coeur léger que j’empruntai mon itinéraire côtier vers le grand Sud. Avec un peu de chance, j’aurai atteint Tarfaya en fin de journée. Machinalement je touchai la main de Fatma pendue au rétroviseur du Pagero.

Les premières heures se déroulèrent sans encombre. Malgré le nombre impressionnant de camions chargés de bidons d’essence, cahotant dangereusement à chaque nid de poule. A midi, le thermomètre marquait 38°. Je me félicitai d’avoir choisi le mois de Mai pour cette escapade marocaine, d’autant que la climatisation du 4×4 « très confortable et entièrement révisé » selon le loueur de véhicules, ne fonctionnait plus. Par les vitres ouvertes me parvenaient des relents de gaz brûlés et les accélérations bruyantes des moteurs. L’Atlantique, sur ma droite, me narguait de sa splendeur.

Ce fut vers 5h de l’après-midi que les choses commencèrent à se gâter. D’après le compteur du véhicule, je ne me trouvais plus qu’à 60 kms de Tarfaya. Les jambes engourdies et le dos en compote, je décidai de m’octroyer quelques minutes de détente. Sur le bord de la route, une baraque affichait « Bar du désert » peint en rouge au-dessus de la porte. Un baril rouillé et une chaise pliante me tendaient les bras, sous un parasol « Coca-cola« . Avec soulagement j’arrêtai le moteur et descendis pour me désaltérer. Le patron du « bar », un marocain sans âge, m’accueillit tout sourire et s’empressa de me montrer sa « cave » de boissons fraîches. Surgis de nulle part, trois gamins munis de bouteilles d’eau et de chiffons, se précipitèrent autour du 4×4 pour en nettoyer le pare-brise. L’un deux voulut me vendre un caméléon, que je refusai aimablement mais je lui offris trois dirhams en échange de trois dattes.

Assise sous mon parasol, je sirotais mon soda presque frais, quand mon regard s’arrêta sur une flaque sombre et luisante s’élargissant sur le sol, en dessous du Pagero. Le patron du bar qui regardait dans la même direction, immédiatement se glissa sous le véhicule, tâta le liquide qui s’écoulait goutte à goutte, le renifla et me cria « c’est de l’huile, il y a une fuite mais pas grave« . Voyant ma mine dépitée, il surenchérit : « à Tarfaya, demande Sadate au café français, c’est mon cousin, il va réparer, pas de problème jusque là-bas, inch Allah ».

Je fus soudain pressée d’arriver à destination avant la nuit, avant que le cousin Sadate demeure introuvable. Un peu stressée, je repris la route, l’oeil rivé à l’aiguille du niveau d’huile. La valse des camions chargés de pétrole m’accompagna de nouveau mais je n’y prêtais plus guère attention. Le désert prenait ses couleurs d’ocre rouge sous le soleil en déclin. Quand au loin j’aperçus enfin les silhouettes des deux dromadaires statufiés marquant la porte de la province de Tarfaya.

Soudain le moteur hoqueta et une fumée s’échappa du capot. Je coupai le contact. Cette fois, pas de doute, c’était bien la panne. Devant moi s’étirait la route rectiligne que recouvraient des tourbillons de sable. La ville devait être proche mais je ne pouvais en distinguer les abords. Quelques maisons blanches, éparses, se dressaient  ça et là, incohérentes. Un grand bâtiment sur la gauche me sembla être un hangar. Aucun signe de vie, aucun bruit ne me parvenait. Scrutant l’horizon, je n’apercevais que la désolation de l’endroit. Ce n’était pas tout à fait l’idée que je me faisais de Tarfaya.

M’encourageant à haute voix, je fermai le véhicule et me dirigeai à pieds vers la première demeure visible, avec le fol espoir d’y trouver de l’aide. Curieusement, la route goudronnée avait disparu pour faire place à une piste sableuse, que j’empruntai d’un pas décidé. Je ne sais combien de temps je marchai, la bouche en feu, les pieds meurtris, sans rencontrer âme qui vive. Quand enfin j’aperçus une ombre humaine qui avançait vers moi. L’homme semblait de stature imposante et d’allure tranquille. Au fur et à mesure qu’il s’approchait, je vis qu’il portait une veste de cuir. Derrière lui, un chien le suivait.

L’homme me fit un grand signe de la main, comme pour me rassurer sur ses intentions. Arrivé à quelques pas de l’endroit où je l’attendais, il dit : »Bonjour, qui que vous soyez, je suis heureux de vous rencontrer, le temps est long ici…mais d’où venez-vous ? Pardonnez mon audace, mais, vu votre accoutrement, j’imagine que vous êtes tombée d’une autre planète ! » Interloquée, je me demandai quelle était la bizarrerie de ma tenue vestimentaire pour qu’il se moque ainsi. C’est alors que je remarquai sa chemise blanche sous la veste d’aviateur, son pantalon trop large rentré à l’intérieur de ses guêtres de cuir. L’animal qui l’accompagnait et que j’avais pris pour un chien, s’avéra être un joli fennec. Devinant ma pensée, l’homme afficha un large sourire et poursuivit : « C’est un renard du désert, je l’ai apprivoisé et j’en suis donc responsable, voyez-vous. Mais dites-moi, où vous dirigez-vous exactement, puis-je vous renseigner ? » Avec un vague sentiment d’improbabilité, je lui répondis :« Je cherche un dénommé Sadate. On m’a dit que je le trouverai à Tarfaya, au café français ».

Il éclata d’un rire presque enfantin :

« C’est bien ce que je pensais, vous venez d’une autre planète ! Je ne connais ni de Sadate, ni de café français et encore moins Tarfaya. 

…Ici, vous êtes à Cap Juby ! »…

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les sables de l’infini – dominique massa et didier garino (le désert d’aladin)

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Merci une nouvelle fois à Martine pour cette nouvelle en trompe-l’oeil . Retrouvez-la sur son blog de grande qualité:
 

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