Le vieux monde est colère. Des êtres minuscules s’agitent sur sa croûte, lui tapent sur les nerfs. Ils percent, creusent, coupent et bétonnent. Ils lui bouchent les pores de la peau d’une couche de macadam sale. Le monde suffoque. Il sent leur course effrénée, de plus en plus vite, lancés dans la sempiternelle poursuite du temps. Un concept étonnant inventé pour quantifier le déroulé de la vie. Et se rendre compte qu’ils la gâchent en futilités. Et déprimer. Le monde est perplexe. Ces créatures déconcertantes construisent des machines qui toussent et qui crachent. Elles bâtissent des édifices à toucher les nuages, si hauts qu’ils dissimulent le ciel. Elles allument des lumières qui occultent les étoiles et condamnent les ombres de la nuit. Le monde ne les comprend pas, ça ne doit plus être de son âge.
Si ce n’était que les démangeaisons, ça irait encore. Mais le bruit. Tant de bruit. La rumeur constante de leurs paroles futiles, le brouhaha criard de leurs réclames, le grondement permanent de leurs pieds minuscules. Pourquoi ? Pour accumuler, plus et plus encore. Toujours plus que son voisin… Il est loin le temps où il les regardait évoluer avec étonnement. Où les plus audacieux parcouraient des continents inconnus, calant leurs pas sur la respiration de la terre, émerveillés par les beautés de la nature, curieux des différences entre les peuples. Loin le temps où la bonté, le courage étaient les seules valeurs reconnues. Il y a encore quelques aventuriers aujourd’hui, mais ils sont rares.
Le monde ne conçoit pas pourquoi les petits hommes s’enorgueillissent de leurs villes immenses. Ils rasent les forêts, tranchent dans ses poumons… Le monde s’essouffle. Ils font courir des câbles où frissonnent mille informations. Ils quadrillent le sol de lignes qui relient les humains entre eux, aux quatre coins du globe. Il n’y a que lui pour se rendre compte qu’ils n’ont jamais été aussi seuls.
La minuscule cohue ne réalise pas qu’elle rend le monde malade. Brûlant, à bout de souffle, il a des envies de saccages, des pulsions destructrices. Parce que, s’il est compréhensif, il n’est quand même pas du genre à se laisser détruire. Il a longuement pesé le pour et le contre. Il a beaucoup hésité. La fièvre ne baisse pas, alors tant pis. Il se secoue et tremble. Sur sa peau les pauvres constructions vacillent et se fissurent. Sa colère monte du plus profond de son âme et jaillit en torrents de lave dévorant tout sur leur passage. Sous le coup de l’effort, il souffle, il halète et c’est les mers qui se démontent et bouleversent les paysages côtiers. Son emportement retombe vite, le monde n’est pas un méchant. Cent ans exactement, juste un instant. Les êtres microscopiques ne s’agitent plus comme avant. Ils doivent reconstruire, pleurer leurs disparus. Naître et renaître encore. Dans le calme de la nature retrouvé, une nouvelle sagesse apparaît et se transmet. La vie est le monde. Le monde est la vie. Il faut le respecter.
Texte écrit dans le cadre du concours de la micro-nouvelle organisée par le Festival International Les Lucioles Bleues, thème :R(H)umeurs du monde, 500 mots maximum.
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